La dette privée a émergé dans les années 2000 pour répondre aux besoins de financement se situant entre la dette senior (c’est-à-dire les prêts bancaires garantis par des sûretés) et les capitaux propres (les actions).
Après la crise financière de 2008, la demande pour ce type de financement a fortement augmenté, les banques, en raison d’une réglementation bancaire plus stricte, ont réduit leurs prêts, en particulier aux petites et moyennes entreprises ou à celles ayant un levier financier élevé, rendant les financements bancaires coûteux.
Aujourd’hui, la dette privée est devenue une alternative clef aux prêts bancaires traditionnels pour les entreprises de taille intermédiaire, notamment celles qui cherchent à se renforcer sur leur marché et ayant besoin de liquidités pour financer une croissance externe, comme une acquisition.
Son succès est dû à sa capacité à répondre aux besoins aussi bien des emprunteurs que des investisseurs, expliquant ainsi sa forte croissance. Le marché de la dette privée a connu une expansion continue, avec une multiplication par trois des encours sous gestion au cours des 10 dernières années.
Structuration des financements
En termes de structuration, la dette privée comprend généralement des dettes seniors et des dettes subordonnées (ou junior), ainsi que des dettes unitranches.
Le développement de ce marché a donné naissance à une variété de solutions de financement, qui se distinguent par leur niveau de risque, les garanties associées et la durée du financement.
Dette senior
Ce type de financement est considéré comme prioritaire en cas de remboursement, avec des sûretés de premier rang.
Dette subordonnée (ou junior)
Elle se situe entre la dette senior et le capital propre. Moins sécurisée que la dette senior (garanties de second rang), elle présente un risque plus élevé mais offre un rendement supérieur. Elle est cependant senior par rapport aux actions.
Prêt unitranche (depuis 2012)
Ce modèle combine les éléments de la dette senior et junior, offrant une solution plus simple pour les entreprises, généralement avec un seul prêteur. Cette approche permet à l’entreprise de bénéficier de plus de flexibilité et d’une exécution plus rapide. Le coût de la dette unitranche est plus élevé que celui d’un prêt bancaire traditionnel, mais inférieur à celui d’un financement junior.
Une classe d’actifs à part entière
La dette privée est aujourd’hui reconnue comme une véritable classe d’actifs. Non cotée, elle est moins volatile et permet aux investisseurs de bénéficier d’une prime d’illiquidité, entraînant ainsi des rendements potentiellement plus élevés que ceux des obligations cotées.
Comparée au Private Equity, la dette privée présente des horizons d’investissement plus courts (2 à 3 ans en moyenne) et une durée de détention réduite (2 à 3 ans contre 4 à 6 ans pour le Private Equity). De plus, la dette privée occupe une position plus élevée dans la structure du capital, ce qui réduit le risque pour les investisseurs en cas de défaillance de l’emprunteur.
Les fonds de dette privée sont généralement dits « distributifs », car ils génèrent des flux de trésorerie réguliers sous forme de paiements d’intérêts (coupons), souvent trimestriels. Ces paiements continuent sur toute la durée du financement (6 à 8 ans), ce qui offre aux investisseurs un rendement stable sur de longues périodes.
Ce profil de flux de trésorerie est complémentaire au Private Equity, dont les flux sont souvent négatifs au début, avec des bénéfices dégagés plus tard.
Un autre avantage important de la dette privée est que les prêts sont souvent à taux variable, ce qui est particulièrement favorable dans un environnement marqué par des taux d’intérêt élevés.
Un environnement de marché en transformation
Depuis la guerre en Ukraine, l’inflation croissante et la montée des taux d’intérêt, le marché de la dette privée a été modifié. Auparavant caractérisé par un fort afflux de liquidités et un climat haussier, il se divise désormais en deux segments :
Large Caps (plus de 300 millions d’euros)
Les financements sont devenus plus complexes, avec moins d’opérations réalisées en 2023. Les transactions sont principalement financées par des fonds de dette, bien que les banques aient commencé à syndiquer de nouveau leurs prêts à partir de fin 2023, suite à un retour des liquidités sur les marchés.
Small & Mid Caps
Ce segment reste actif, mais les prêteurs sont devenus beaucoup plus sélectifs depuis deux ans. Le coût de la dette a augmenté et les leviers se sont réduits, tandis que les marges ont augmenté.
Cette situation a conduit à un ajustement favorable pour les prêteurs en termes de risque/rendement. Les instruments subordonnés, tels que la mezzanine ou les PIK (Payment In Kind), ont fait leur retour, complétant la réduction des leviers.
Ce contexte macroéconomique moins favorable entraîne une légère hausse des taux de défaut, et les situations de restructuration ou de créances en difficulté (distressed) se multiplient. En revanche, les investisseurs bénéficient de rendements attractifs.
Par exemple, un financement unitranche pour une entreprise de qualité pourrait offrir un rendement brut annuel compris entre 11 et 12 %.
La sélectivité : un enjeu crucial
Après une période de financement bon marché grâce aux taux d’intérêt faibles, les emprunteurs doivent désormais faire face à des conditions plus strictes.
Certaines entreprises, notamment dans des secteurs cycliques comme la vente au détail ou certaines industries, peinent à trouver des financements. Celles qui souffrent de faibles marges, de coûts d’inflation élevés ou de dépendance à un client unique rencontrent des difficultés particulières.
À l’inverse, les secteurs non-cycliques tels que la santé, avec des revenus récurrents, des marges élevées et peu de dépenses en capital (CAPEX), sont perçus favorablement par les prêteurs.
Pour les fonds de dette privée, la capacité à faire preuve de sélectivité et à identifier les risques devient primordiale. Cela passe par des processus de due-diligence renforcés et une gestion étroite des relations avec les emprunteurs.
L’intégration des critères ESG
Depuis plusieurs années, l’intégration des critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) dans les financements de dette privée est devenue un enjeu majeur. Cela répond à une demande croissante des investisseurs mais aussi des entreprises qui souhaitent obtenir des financements dits « verts ».
Des instruments innovants, comme les « ESG Margin Ratchet Loans », permettent de lier le taux d’intérêt de la dette à la réalisation d’objectifs ESG, comme la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Bien que ces instruments doivent encore être rationalisés, leur généralisation serait bénéfique à la fois pour les emprunteurs et les investisseurs.
La dette privée continue de croître et de se diversifier.
Elle offre des solutions flexibles et attractives pour les entreprises, tout en répondant aux attentes des investisseurs en matière de rendement stable et de diversification. Cependant, dans un environnement macroéconomique plus complexe, la sélectivité des financements devient un critère déterminant pour réussir.