Les prévisions d’inflation, comme celles sur le niveau des devises, font partie des exercices les plus périlleux pour les économistes.
On se souvient par exemple que l’une des dernières grandes anticipations de poussée inflationniste remonte aux mois qui suivirent la grande crise financière de 2008, quand les grandes banques centrales de la planète s’étaient lancées dans de gigantesques programmes (pour l’époque…) de création monétaire permettant l’achat d’actifs financiers.
La plupart des économistes mirent en garde quant au risque inflationniste inhérent à un fonctionnement en surrégime de la planche à billets.
Or, non seulement ce risque ne s’est jamais matérialisé depuis, mais c’est au contraire une insuffisance d’inflation et une croissance économique apathique qui se sont durablement installées, pénalisant des économies surendettées et les entreprises, incapables d’augmenter leurs prix.
Les leçons de la crise de 2008
L’une des causes essentielles à retenir est que la plus grande partie de cette « création monétaire » ne s’est jamais retrouvée dans l’Économie réelle.
En partie parce que les banques n’étaient plus enclines à prendre le risque de prêter cet argent à leurs clients (le durcissement de la réglementation après la crise de 2008 encourageant cette frilosité), en partie parce que les particuliers et les entreprises étaient eux-mêmes prudents, l’argent offert par les banques centrales n’a alimenté ni la Consommation ni l’Investissement.
Ces liquidités sont principalement restées dans le seul système financier.
Ce sont les actions et les obligations qui ont vu leurs prix monter, de façon d’ailleurs assez vertigineuse, et non pas les prix des biens à la Consommation.
Les investisseurs ont été les grands gagnants des 12 dernières années.
Envol des matières premières
En 2021, le spectre d’une résurgence d’Inflation est de nouveau brandi.
À très court terme, le phénomène semble en effet assez imparable, car, mesuré sur une année glissante, il est assez logique que les prix à la Consommation soient, dans les prochaines semaines, plus élevés que lorsque les consommateurs étaient confinés chez eux, au printemps 2020.
Le phénomène pourrait d’ailleurs être renforcé et prolongé quelque temps parce qu’au moment où la demande des consommateurs se redresse, l’offre des entreprises est encore contrainte par toutes les perturbations subies par l’outil de production depuis 1 an.
À l’échelle de la planète, l’envol sur les 12 derniers mois du prix de certaines matières premières comme le cuivre ou des semi-conducteurs rappelle la loi d’airain de l’Offre et de la Demande pour le prix des biens et services.
Aux États-Unis, dont l’Économie a déjà largement rouvert, le phénomène est visible et l’indice des Prix pour le mois d’avril a dépassé toutes les prévisions des économistes.
Mais la question la plus importante se situe au-delà du court terme…
Se pourrait-il que les économistes, après avoir largement surestimé la direction générale de l’Inflation au début de la décennie précédente, la sous-estiment pour la décennie à venir ?
Cette question, absolument cruciale pour les épargnants, mérite d’être posée, car quelque chose a radicalement changé entre le traitement de la crise de 2008, et celui de la crise de 2020.
La nouvelle orientation de Joe Biden
Cette fois-ci, la leçon de « l’erreur » de 2009 a été retenue : pour éviter que le traitement de la crise ne profite qu’aux seuls actifs financiers, au lieu de l’Économie réelle, et laisse donc se creuser les inégalités, les gouvernements ont pris leurs responsabilités.
Cette fois-ci, ils ont presque universellement pris l’initiative de s’assurer que la « création monétaire » serait bien canalisée vers les particuliers et les entreprises (indemnités, prêts garantis, subventions, investissements publics, etc…).
Les banques centrales ne sont plus seules à la manœuvre
Aux États-Unis, cette prise de responsabilité par l’administration Biden surpasse même dans son ampleur l’épisode de la relance rooseveltienne des années 30. C’est un peu toute l’idéologie économique libérale des 40 dernières années, initiée par Ronald Reagan aux Etats-Unis et que Margaret Thatcher avait soutenue en Europe – caractérisée par moins d’État, moins de réglementations, moins d’impôts et plus de globalisation – que Joe Biden se propose de renverser.
Il est donc légitime de suspecter que la longue tendance de désinflation des dernières décennies, qui a permis une baisse littéralement ininterrompue des taux d’intérêt jusqu’à récemment, puisse être mise à mal.
L’obstacle du surendettement
Nous n’en aurons pas tout de suite la confirmation.
La dernière décennie a montré que le surendettement est un obstacle formidable à la remontée de l’inflation et des taux d’intérêt.
De plus, le risque est sensiblement plus éloigné en Europe, où les niveaux de sous-emploi, les freins structurels à la croissance et la relative modestie des plans de relance rendent la perspective d’un complet changement de régime d’inflation moins crédible.
Dès les prochains mois, les esprits seront probablement frappés par l’élévation du niveau de l’Inflation qui accompagnera la réouverture des Économies et les multiples ruptures dans les chaînes d’approvisionnement.
Et même si ce phénomène sera partiellement transitoire, ne serait-ce que parce que l’effet de base sur le prix du Pétrole s’estompera rapidement, même si l’histoire nous enseigne qu’il faut se garder de prédire de façon péremptoire un retour durable de l’Inflation des actifs financiers vers l’Économie réelle, les marchés devront intégrer que cette possibilité s’est sérieusement renforcée.
Et ce ne sont certainement pas les modèles traditionnels des économistes qui permettront d’anticiper de façon fiable l’avenir de l’Inflation dans un contexte si nouveau.
Ce risque justifie à lui seul une vigilance accrue des épargnants, dont le patrimoine tranquillement investi depuis des années sur des actifs obligataires à faible rendement serait lourdement pénalisé par un retour de l’Inflation.