L’épargne des Français s’apprête à jouer un rôle stratégique dans le financement de l’industrie de la Défense. Loin d’une mobilisation forcée, le Gouvernement mise sur le volontariat et l’attractivité des placements.
Lors de la journée dédiée au financement de la Base industrielle et technologique de défense (BITD) ce jeudi 20 mars 2025, le ministre de l’Économie et des Finances, Éric Lombard, a affirmé que l’objectif n’était pas d’imposer une nouvelle contribution aux épargnants, mais plutôt de leur offrir de nouvelles opportunités d’investissement. « L’enjeu est de proposer aux épargnants un plus grand nombre d’opportunités d’investissement répondant à leur besoin, pour que ceux qui le souhaitent puissent diriger leur épargne vers nos industries de Défense », a-t-il précisé.
Ainsi, plutôt que de créer un produit d’épargne spécifique ou d’imposer une contribution issue des fonds placés sur le Livret A, l’exécutif compte s’appuyer sur des dispositifs existants : l’assurance vie, le plan épargne retraite (PER), le plan d’épargne en actions (PEA) et les plans d’épargne salariale (PEE, PERO, PERCOL).
Ces outils, déjà largement utilisés par les Français, permettront d’orienter une partie des fonds vers l’industrie de défense, notamment via des fonds de private equity.
Le rôle clé des fonds de private equity
Le levier privilégié par le gouvernement repose sur le développement de fonds de private equity, spécialisés dans l’investissement au capital d’entreprises non cotées en Bourse. L’industrie française de défense repose sur environ 4 500 entreprises, majoritairement des TPE, PME et ETI évoluant en dehors des marchés financiers traditionnels.
À l’exception de quelques grands groupes comme Airbus, Thales ou Dassault Aviation, la majorité des acteurs du secteur rencontrent des difficultés pour lever des fonds et financer leur développement.
Les fonds de private equity collectent l’épargne des investisseurs pour la réinjecter dans ces entreprises stratégiques, leur offrant ainsi un accès à des capitaux nécessaires à l’innovation et à la production. Jusqu’à présent, ces investissements étaient principalement réservés aux grandes institutions financières, mais la nouvelle initiative vise à les rendre accessibles aux épargnants particuliers.
Des opportunités d’investissement ouvertes au grand public
Dès les prochains mois, les épargnants pourront retrouver dans les unités de compte (UC) de leurs contrats d’assurance vie et de PER des fonds de private equity dédiés à la défense. Parmi eux, Bpifrance a annoncé la création du fonds « Bpifrance Défense », permettant d’investir dans des PME et startups du secteur dès 500 euros.
Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, a détaillé ce projet en insistant sur son accessibilité : les particuliers pourront investir via leur assurance vie, leur PER ou directement sur le site de la banque publique d’investissement.
Dans le même esprit, Tikehau Capital a annoncé son intention de développer une unité de compte dédiée à l’assurance vie et aux PER en partenariat avec la Société Générale. Jusqu’ici réservé aux banques et aux assureurs, ce type de fonds sera donc ouvert aux particuliers souhaitant orienter leur épargne vers la défense nationale.
Un investissement volontaire… mais pas uniquement
Si ces nouvelles options sont basées sur le volontariat, une partie des épargnants pourrait, sans le savoir, voir une fraction de leur épargne être allouée au secteur de la défense. Depuis l’entrée en vigueur de la loi Industrie Verte, une proportion des sommes placées en assurance vie et en PER est automatiquement dirigée vers des fonds de private equity dans le cadre de la gestion pilotée – une option choisie par défaut sur les PER.
Selon le profil de risque sélectionné, entre 4 et 15 % des versements sont ainsi investis dans des actifs non cotés, qui peuvent inclure des entreprises de défense.Autrement dit, avant même ces nouvelles annonces, des fonds de private equity finançaient déjà l’industrie de défense grâce à l’épargne placée par les Français.
Cette tendance devrait désormais s’amplifier avec la mise en place de produits d’investissement spécifiquement dédiés à ce secteur.
Un enjeu stratégique pour la souveraineté française
Le financement de l’industrie de défense est un enjeu majeur pour la souveraineté nationale. Dans un contexte international marqué par des tensions croissantes, la France cherche à renforcer son indépendance en matière de défense et à soutenir ses entreprises stratégiques.
En permettant aux épargnants d’y contribuer volontairement, le gouvernement espère mobiliser des ressources significatives sans recourir à des mesures contraignantes.
Toutefois, ces investissements comportent des risques. Le private equity est classé parmi les placements les plus risqués, avec une notation de 6 ou 7 sur 7 sur l’échelle du risque. Contrairement aux fonds en euros sécurisés de l’assurance vie, ces fonds ne garantissent pas le capital investi et peuvent subir des fluctuations importantes. Les épargnants intéressés devront donc bien évaluer leur appétence au risque avant d’y souscrire.
En fin de compte, si cette initiative permet de renforcer l’industrie de défense française, elle marque aussi une évolution dans la manière dont l’épargne des Français est orientée. Elle témoigne d’une volonté d’associer le grand public au financement des enjeux stratégiques nationaux, tout en leur offrant une opportunité d’investissement potentiellement rentable.